Plaidoyer pour un Salon littéraire
février 12

Ce lieu est né d’une intuition mille fois vérifiée : la littérature est au cœur de la vie, elle en est le souffle, la vie même, qu’elle nourrit et qui s’en nourrit. Mais le pollen qu’elle sème généreusement ne fait qu’effleurer nos sociétés, sans qu’on en prenne vraiment la mesure. La preuve? Combien de récits proprement romanesques l’actualité politique ou sociale ne produit-elle pas? À combien de mythes n’emprunte-t-elle pas? Combien de personnages de roman ne croise-t-on  pas chaque jour? Combien de films ne doivent-ils pas leur scénario à une œuvre littéraire? Combien de programmes de télé ne seraient-ils rien sans leurs secrètes sources livresques? Combien d’installations, de performances, d’œuvres d’art, génératives, participatives ou tout ce qu’on voudra, n’en reçoivent-elles pas les influences inconscientes? Inconscientes ou inavouées, aussi bien dire inavouables.

        
         Directrices littéraires Annie Heminway et Ève Pariseau. [Photo: Linda Leith]

C’est que la littérature effraie. L’école n’en voit pas toute la richesse ni les possibilités pédagogiques. Les foyers lui préfèrent des écrans plats. Les gens pressés lui refusent le temps. Elle intimide les ignorants. Ce qui n’empêche pas les livres  – comme un hommage rendu a contrario  – d’être un enjeu économique que se disputent  les géants du numérique. En outre, la littérature a mauvaise presse. Dans les pages des journaux comme sur les plateaux de télévision, on la prend avec des pincettes, l’air de ne pas y toucher, comme si elle ne valait pas la peine qu’on s’y arrête, et cela au mépris du public lecteur qui sait bien, lui, tout ce qu’il lui doit. Dans les sections culturelles des magazines, sa place, lorsqu’elle en a une, est réduite à une part congrue, loin derrière le cinéma, les arts du cirque, la musique, les humeurs des chroniqueurs. Cependant, à trop souvent être renvoyée à elle-même et à ses aficionados, la littérature est guettée par le ressentiment : trop de livres, trop d’aspirants écrivains, trop peu de lecteurs, retraite de la critique, tout-à-l’égout du commerce, montée de l’illettrisme sont des plaintes qu’on entend souvent. Or, il nous semble au contraire que la littérature ne s’est jamais aussi bien portée alors qu’elle disparaît de notre vue.

Lecteur qui entres dans ce salon littéraire, tu en auras la preuve, pourvu que tu veuilles t’y attarder et ouvrir les yeux. Ici, en ce lieu conçu comme autant de plateaux d’un théâtre à scènes multiples où elle se donne à voir, la part occultée de la littérature dans nos sociétés sera montrée dans tous ses états, et de même sa part manifeste. La littérature, oui, est partout.

© Marie-Andrée Lamontagne 2012

Voir la traduction anglaise de Plaidoyer pour un Salon littéraire ici; traduction de Jonathan Kaplansky.

 

                                           
                                            Marie-Andrée Lamontagne [Photo: Martine Doyon]

Marie-Andrée Lamontagne est écrivain, éditrice, journaliste et traductrice. Chez Leméac Éditeur, notamment, elle a publié un roman (Vert), un recueil de nouvelles (Entre-monde) et un récit (La méridienne). De 1998 à 2003, elle a dirigé les pages culturelles du quotidien québécois Le Devoir, où elle collabore encore à l’occasion. Elle prépare actuellement une biographie de la romancière et poète Anne Hébert (à paraître aux éditions du Boréal).

 

 

 

 

 

 


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