Le Crépuscule des Dieux, « The Metropolitan Opera in HD », en direct, par Anica Lazin
mars 12

Le Crépuscule des dieux fait partie d’un festival scénique. Il est composé d’un prologue et de trois actes. Richard Wagner (1813-1883), l’une des plus grandes figures du romantisme, est le père du drame intégral. Conjuguant poésie, musique, théâtre et danse, les scènes s’enchaînent dans une symphonie cyclopéenne. Sa religion est l’art, et son dieu le théâtre.

Avec la dernière partie de La Tétralogie, qui fut réalisée au Metropolitan Opera de New-York, l’artiste québécois Robert Lepage signe une fresque gigantesque et colorée fidèle à son monde imaginaire sans pareil.

Un travail magistral. Bien que son Crépuscule fût le moins époustouflant des quatre opéras de L’Anneau. Les objets réels, tels que les statues du palais des Gibichungen au deuxième acte ainsi qu’un bûcher flambant au troisième acte, font intrusion dans ce monde virtuel. Le prologue et le premier acte transportent le spectateur avant qu’il ne soit soudain dérouté.

Avec la force et le timbre d’un « ténor héroïque » le jeune artiste lyrique Jay Hunter Morris incarne Siegfried, ce brave dont l’innocence et la pureté n’ont pas encore été perverties par les conventions sociales et la peur.

L’interprète ne se situe pas dans la tradition wagnérienne, mais cette ignorance d’une philosophie consciemment construite lui est probablement essentielle pour s’exprimer avec une spontanéité crédible, comme il le fait à la fin du Prologue du Crépuscule des dieux, au moment où Brünhilde le nomme « astre victorieux ». Il réussit à nous convaincre qu’il est à même de délivrer le monde de l’aliénation et de sa soif de possessions. 

Dans le jeu et le chant de Jay Hunter Morris, rien n’est artificiel. Cependant, dans la scène de la chasse du IIIème acte, où il raconte les aventures de sa vie avec Mime, sa victoire sur le dragon, sa traversée des flammes et le réveil de Brünhilde, Hunter Morris finit difficilement son monologue. Cela est dû, peut-être, à la fatigue accumulée pendant les deux premiers actes. Il m’a donné l’impression d’avoir hâte de mourir, transpercé par la lance de Hagen. Dommage! 

Cela ne diminue pas pour autant sa contribution à la production, mais cette faiblesse prouve une fois de plus que la légendaire Maria Callas avait raison lorsqu’elle disait que le dernier acte d’un opéra doit être mieux chanté que les deux ou trois premiers. Comme pour tout, c’est la dernière impression qui nous reste en mémoire, comme le bon ou mauvais goût de la dernière bouchée peu importe la somptuosité du repas. 

Les Gibichungen sont représentés par trois excellents chanteurs : la jeune Wendy Bryn Harmer (Gutrune), Ian Paterson qui maîtrise la scène et son rôle de Gunther, et l’impressionnant Hans-Peter König dans le rôle de Hagen. Eric Owens et Waltraud Meier dans les rôles d’Alberich et de Waltraute nous prouvent qu’aucun rôle sur scène n’est petit. 

Enfin, celle qui marque cette production du Crépuscule des dieux 2012 au Met est sans l’ombre d’un doute Deborah Voigt dans le rôle de Brünhilde, le seul personnage de La Tétralogie que nous retrouvons dans les trois journées de L’Anneau et dont nous pouvons suivre l’évolution. 

Le personnage de Brünhilde progresse grâce à la découverte de la grandeur de l’amour dans La Walkyrie, dans l’acceptation de sa condition humaine, l’épanouissement de sa féminité jusqu’au plaisir charnel, et l’accomplissement de soi dans l’abandon amoureux tel qu’il est représenté dans le dernier acte de Siegfried, et ce, jusqu’à son accession à un savoir supérieur et à une grandeur tragique.

Voigt réalise cette progression grâce à une intelligence musicale et une solide technique vocale. 

Au service de l’esthétique wagnérienne ainsi que de sa philosophie, elle maîtrise à la perfection la déclamation mélodique de Wagner et offre une expressivité intrinsèque au drame. 

Une autre ombre au tableau : l’orchestre du Metropolitan Opera sous la direction de Fabio Luisi. Ce dernier ne parvient pas à reproduire le spectre des couleurs instrumentales créé par Wagner pour exprimer des émotions et varier les leitmotive. Sous la baguette de Luisi, l’œuvre commence par les cuivres qui ne jouent pas simultanément, et la même erreur se reproduit à deux reprises au troisième acte. Son orchestre allégé et italianisé, n’est pas celui de Wagner.

Je regrette notre bon vieux James Levine!

Le Crépuscule des Dieux, troisième journée du festival scénique en trois actes et un prologue.

Création : Bayreuth, 16 août 1876

Chef d’orchestre Fabio Luisi

Production Robert Lepage

Distribution:
Brünhilde Deborah Voigt
Gutrune Wendy Bryn Harmer
Waltraute Waltraud Meier
Siegfried Jay Hunter Morris
Gunther Iain Paterson
Alberich Eric Owens
Hagen Hans-Peter König

© Anica Lazin 2012

Anica Lazin, écrivaine et musicienne d’origine serbe, auteure du roman Tisza, (Éditions Trois Pistoles, 2010), membre de l’UNEQ, et professeure à l’UTA de l’UQTR.

 

 


Plus d'articles

8-Logos-bottom